Chronique de Frédéric Bérard
Liberté d’expression et Gilles Proulx
La liberté d’expression – je le dis souvent à mes étudiant.es de droit constitutionnel – est possiblement la notion la plus évolutive, subjective et, par conséquent, ardue à cerner.
Parce que les juges, humains, l’évaluent parfois au rythme de leurs propres goûts et expériences personnelles. Idem, il va sans dire et a fortiori, pour le justiciable. Ce dernier y confond – et le réflexe est normal – bon goût, morale et droit.
Si l’idée vous dit, faites-le test à la maison. Prenez une caricature outrancière, et posez la question autour de la table : est-ce protégé ou non par la liberté d’expression? Les réponses, forcément, varieront d’une personne à l’autre. Souvent d’ailleurs, celles-ci seront dictées par le postulat suivant : suis-je directement ou indirectement visé par le gag? Le cas échéant, c’est-à-dire si les chances d’être « insulté » augmentent, je risque de considérer la non-application de la liberté d’expression en l’espèce.
Pourtant, et dixit Chomsky : « Ou tu défends la liberté d’expression pour des opinions que tu détestes, ou tu ne la défends pas du tout. Même Hitler et Staline étaient ravis de défendre la liberté d’expression pour des idées qui leur convenaient ».
Dans l’arrêt Mike Ward, déjà célèbre, la Cour suprême réitérait en quelque sorte les sages paroles du linguiste américain : le droit de ne pas être offensé, comme le réclamaient plusieurs, est inexistant en droit canadien. Mieux : toute « personne raisonnable » ayant assisté au spectacle de l’humoriste québécois avait compris, sans effort, que celui-ci n’en appelait pas à la mise à mort de Jérémy Gabriel. Notons toutefois la dissidence de quatre juges sur… neuf, ceci confirmant la thèse ci-haut : la liberté d’expression en appelle, par définition, à une large part de subjectif.
L’affaire Gilles Proulx-QS, je dois bien dire, m’a secoué le cocotier. Parce que du fait de plusieurs années ensemble à la télé, soit à l’émission de Denis Lévesque, nous en sommes venus à nous lier d’une amitié autant forte que sincère. Rien, pourtant, ne laissait initialement croire à une possibilité semblable, tout ou presque, sur le plan idéologique, nous sépare.
J’ai néanmoins découvert, au fil du temps, un autre Gilles Proulx, parfois à des lustres de celui du personnage public : timide, solidaire (sans jeu de mots!), dévoué et tout simplement… gentil.
Suis-je d’accord avec ses derniers propos sur QS? Du tout.
Sauf que… oui, il y a un sauf. Deux, en fait.
Le premier : que ses propos sur le « il faut les achever » ont été malicieusement détournés, Proulx parlant non pas ici de Québec solidaire, mais ironisant plutôt sur les relations anglofrancos.
Le deuxième : je souhaite, à la lumière des enseignements de la Cour suprême dans Ward, que l’on distingue autant droit et morale, que liberté d’expression et bon goût.
Parce que sans l’ombre d’un doute, le fait pour un commentateur politique de traiter un parti de « bâtard », « cochonnerie », « menteur » et « hypocrite » est protégé par la liberté d’expression.
Est-ce sympathique à entendre, surtout pour les principaux concernés? Évidemment pas.
Est-ce justifié? Non.
Nécessaire? Encore moins.
Mais à moins d’un appel à la violence, inexistant en l’espèce, les tribunaux se refuseront d’intervenir, le bon goût et la morale n’étant pas de leur ressort.
Parce qu’aussi désagréables, durs et affligeants que puissent être certains propos, une société démocratique s’en trouve souvent bénéficiaire, à défaut de mieux. Pas convaincus? Essayez la censure, pour voir…
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