Les techniciens de scène de l’Espace Théâtre en temps de Covid-19
« Si on est encore là, c’est parce qu’on est des passionnés! »
Depuis l’arrivée de la Covid-19, on a beaucoup parlé des artistes, des difficultés qu’ils vivaient et du fait que plusieurs ont abandonné métier et passion pour pouvoir survivre. On a en revanche peu parlé des artisans, travailleurs de l’ombre, qui sont techniciens de scène et qui, eux aussi, ont subi les dommages liés à la pandémie. Contrairement aux artistes, ils n’avaient pas de plan B pour s’en sortir. Il est important de mentionner que lors de l’entrevue avec l’équipe, reconfinement, couvre-feu et nouvelles mesures n’étaient pas en vigueur.
« Si on en venait à perdre notre équipe technique, l’Espace Théâtre aurait un gros problème. Quand on dit que personne n’est irremplaçable, ce n’est pas toujours le cas. Ici, notre réalité est loin d’être celle des grands centres. Si on devait reformer une nouvelle équipe, il serait impossible de retrouver l’expérience et l’efficacité de celle en place présentement. Ce serait un défi de plusieurs années », a déclaré Benoit Ricard, agent de communications.
« Ce qui a fait le plus mal dans tout ça, c’est de ne pas avoir pu travailler ou si peu, et ça, depuis le début. Déjà qu’en partant on n’a pas des salaires énormes et on n’a pas non plus d’horaires stables, la pandémie n’a rien amélioré. Ça a fait mal et ça fait encore mal. (…) J’avoue que j’ai remis beaucoup de choses en question », a confié Pascal Evans, technicien.
Autre point difficile : l’incertitude. « Là, on peut reprendre les spectacles. On peut travailler un peu, mais chaque semaine on se demande si ça va continuer, s’arrêter, pour combien de temps. Impossible de planifier quoi que ce soit; budget, activités ou autres. (…) Malgré tout, on est chanceux parce que dans notre milieu, on est pratiquement les seuls qui avons recommencé », a raconté Cédric Binette Rivest, un autre technicien.
Même si l’Espace Théâtre fait partie des salles qui ont repris partiellement la diffusion de spectacles, quand on regarde ce qui se passe du côté de Montréal, par exemple, il y a de quoi s’inquiéter, car dernièrement, on voyait que des techniciens travaillant dans le milieu depuis de nombreuses années ont décidé de tout lâcher pour aller faire autre chose afin de survivre.
Survie compromise pour la culture présentée en salle?
Selon le directeur technique adjoint, Serge Whissell, la pandémie aura un grand impact sur l’avenir des spectacles qui sont présentés en salle. « Ça fait peur de voir que la tendance veut que les salles de spectacle soient remplacées par des écrans. Je comprends que dans la situation le plan B passait par la diffusion de captations vidéo. La nouvelle génération y est habituée et passe la moitié de son temps devant un écran, mais ça ne sera jamais comme en vrai. Si cette façon de faire continue, ça veut dire que plusieurs salles vont mourir et surtout en région. Quel artiste va vouloir se déplacer, avec une équipe, pour venir filmer une performance en salle, pour la diffuser ensuite sur le web? Non, ils vont préférer aller faire ça dans une petite salle ou dans un local loué, à cinq minutes de chez eux. »
Bien que les artistes affirment tous être heureux de revenir devant le public, on peut tout de même craindre que les aspects pratiques et financiers finissent par entrer en ligne de compte.
« Le numérique est peut-être une bonne solution pour le temps de la pandémie, mais si ça se poursuit, ce sera infiniment triste parce que ce qu’on voit en diffusion numérique n’est vraiment pas la même chose que directement en salle. Parfois, il y a censure, on ne voit pas la réaction des spectateurs qui influence souvent l’artiste, il n’y a pas d’ambiance. La vraie culture, celle qui sort des rangs, celle qui innove, risque aussi d’être mise de côté au profit de ce qui est jugé présentable et acceptable. Ce qui est commercial, populaire et qui se vend bien va prendre le dessus », a ajouté M. Binette Rivest.
Citant en exemple la salle Cabaret Lion d’Or de Montréal, l’équipe lauriermontoise a expliqué que « là-bas, c’est 80% des équipes techniques qui ont quitté et lorsque les spectacles recommenceront ce sera une question d’années pour réussir reformer de bonnes équipes ».
Avec cette expertise qui change et dont le risque de disparition inquiète, tout porte à croire que quand la situation redeviendra plus normale, d’autres problèmes apparaitront. Si le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) a trouvé moyen d’offrir aide et subventions aux artistes et producteurs, la réalité n’est pas la même pour les diffuseurs qui n’ont rien pour supporter leurs techniciens et employés.
La main-d’œuvre spécialisée de l’Espace Théâtre : une denrée rare
Il est donc à prévoir que, dans les prochaines années, des traces de la Covid-19 persisteront puisque de nombreuses salles devront faire face à une nouvelle problématique : le manque de main-d’œuvre spécialisée et qualifiée. Si du côté de l’Espace Théâtre, l’équipe est passée de six techniciens à quatre, ce n’est pas faute d’avoir tout fait pour les garder. Ceux qui sont restés l’ont fait par passion, amour de leur métier et avec l’espoir que les choses se replacent. Ces quatre techniciens, afin d’avoir un peu de travail, ont accepté de troquer consoles et éclairages pour marteaux et pinceaux.
C’est en effet en redonnant de l’amour à la salle, autant à l’intérieur qu’à l’extérieur du bâtiment, que l’équipe s’est occupée durant la période où il n’y a pas eu de spectacle. « Ici, les techniciens font tout eux-mêmes. En plus de la technique (son, éclairage, montage, démontage), si on a besoin d’un escalier, d’un morceau quelconque, d’une réparation, etc., ce sont eux qui le font. La salle, ils ne font pas juste la connaitre par cœur, ils l’ont pratiquement construite », a précisé M. Ricard.
Selon le directeur technique, Pierre Desmarais, c’est grâce à cette diversité que l’Espace Théâtre a pu garder son équipe de techniciens. Ce sont, en quelque sorte, les petites rénovations qu’on leur a proposé de faire pour redonner un peu d’éclat à l’endroit qui leur a permis de poursuivre.
« Dans la situation, ce qui a donné des fonds à Muni-Spec, ce sont les subventions salariales qui ont permis de libérer des liquidités pour investir dans les infrastructures et permettre à tous de continuer à travailler. Si les gars n’avaient été que des techniciens, s’ils n’avaient pas accepté de faire autre chose, je n’aurais plus d’équipe. Notre réalité n’est pas la même que dans les grands centres où le bassin de main-d’œuvre spécialisée est là. Si tu perds ton équipe technique, tu fais un appel à tous et il va y en avoir qui vont répondre. Quand les choses sont à la normale, là-bas, ils sont capables d’offrir 40 heures semaine, ici non. (…) Si ces gars-là partent, il est impossible de retrouver, à Mont-Laurier, d’autres employés équivalents avec les mêmes talents, expériences et efficacité », a-t-il précisé.
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