Nouvel ouvrage aux Presses de l’Université Laval
Richard Lagrange détaille le rêve impossible du curé Labelle
L’historien Richard Lagrange jouit du bonheur de publier aux Presses de l’Université Laval un ouvrage important au sujet du curé Antoine Labelle, « Le pays rêvé du curé Labelle - Emparons-nous du sol, de la vallée de l’Ottawa jusqu’au Manitoba ». Jamais un historien ne s’est consacré à ce pan important de l’histoire canadienne-française. Il était temps et c’est dans l’air du temps.
L’historien écrit sur la mission première de cet ouvrage de 192 pages dans son introduction: « […] mes recherches m’ont mené à considérer la question de la survie culturelle des Canadiens français au Canada comme un aspect déterminant pour saisir l’engagement de Labelle et pour comprendre le contexte de l’époque de l’État canadien naissant. C’est cet angle de la question nationale, culturelle et identitaire de la colonisation que propose la présente synthèse. »
En quoi ce livre diffère-t-il des autres publications sur le curé Labelle? Vous pouvez détailler un peu plus sur ce passage de votre introduction?
« Ce que j’amène de nouveau, c’est son projet, la survivance de l’Amérique française. Ce que les historiens ont écrit sur lui jusqu’à maintenant, c’est qu’il était comme un messie qui se prenait pour quelqu’un qui dirigeait le peuple sur de nouvelles terres, tout en créant dans les Laurentides, une vingtaine de paroisses. »
Dans ce nouvel ouvrage, l’historien, auteur de nombreuses monographies sur la région, décrit le curé Labelle comme celui qui entraine toute l’élite canadienne française de l’époque dans son projet, qu’elle soit politique et économique. Il souhaite qu’elle soit consciente, avec l’ouverture du Canada en 1867, qu’il y avait une course nationale pour occuper le grand territoire canadien. Pour Labelle, si les francophones n’étaient pas dans la course, c’était peut-être l’isolation de ceux-ci en Amérique du Nord qui se dessinait. « C’est ce qui est arrivé », remarque Richard Lagrange.
Donc, si le curé Labelle menait à terme son projet, la destinée des francophones serait autre aujourd’hui?
« C’est vrai. L’enjeu avec les autres élites qui étaient dans le reste du Canada, c’est que seulement Labelle y voyait un enjeu national. La seule province où se trouvait un foyer français, c’était au Québec. Dans le reste du Canada, on parle de minorités de Canadiens français. C’est comme 7% de la population qui est francophone. Si le projet de Labelle avait fonctionné, on aurait un renversement démographique avec plus de francophones dans les provinces et le rapport de force aurait été différent. On aurait aujourd’hui un Canada presque à égalité linguistique. Imaginez si Labelle avait détourné le million de personnes qui sont allées aux États-Unis vers l’Ouest canadien. Aujourd’hui, nous serions plus nombreux », exprime-t-il.
L’historien souligne que, dès ses premiers discours, le curé Labelle dit clairement qu’il faut s’emparer du sol dans l’Ouest, prendre les terres tout en rejoignant les francophones là-bas. Le curé de Saint-Jérôme voyait loin, voyait grand. Pour lui, stagner voulait dire que les francophones seraient une minorité dans le futur, autant sur le plan de la langue que du territoire. Labelle est conscient du combat. Pour construire ce rêve, il devait prendre le chemin des Laurentides et construire des paroisses francophones. Bref, ce que le curé Labelle ne voulait pas, nous le vivons depuis des décennies.
« Il aurait sans doute dit aujourd’hui: “Et voilà, je vous l’avais prédit. Je vous ai fait valoir mes inquiétudes et fatalement, il faut maintenant lutter avec vigueur et ardeur pour survivre.” Quand je regarde les enjeux électoraux actuels, j’entends les échos d’un combat pour la singularité et la survie de notre identité nationale. Labelle, comme un prophète, leur disait cela », avance Richard Lagrange.
Donc le projet du curé Labelle était irréalisable?
« Dans mon livre, je montre que c’était un succès improbable. Les obstacles étaient trop grands et les efforts du gouvernement d’Honoré Mercier démontrent qu’il n’a pas beaucoup investi dans le projet en terme monétaire. Les gens autour de lui qui croyaient à ce projet lui disaient que même s’il perdait ses titres sauf celui de curé, ce qu’il avait échafaudé, c’est une force vive. S’il n’était pas mort si jeune, on connaitrait sans doute une meilleure situation des francophones. À la fin, Antoine Labelle a constaté qu’il ne pouvait briser le monopole des compagnies forestières, l’Église elle-même avec l’évêque et le Pape, tous s’étaient tournés de lui. Les conservateurs aussi s’étaient tournés contre lui. »
Le projet du curé Labelle ne doit pas être perçu comme celui d’un indépendantiste de premier jour. « Je n’ai pas lu Antoine Labelle comme un séparatiste. Ce que j’ai lu, c’est qu’il était un Canadien qui voulait que les francophones s’épanouissent en Amérique du Nord. En fait, il est un nationaliste libéral. Un nationaliste parce qu’il défend la nation canadienne-française. Avec la présence de Mgr Taché et Louis Riel dans l’Ouest, Labelle voulait créer un foyer francophone. C’est un libéral, pas un conservateur comme souvent le sont les membres de l’Église. Il défendait les industries, les villes, les mines, l’exploitation de la forêt, le train, les communications… c’est un homme qui s’intéressait à la science. Ça fait aussi de lui un progressiste. »
L’historien ajoute que le curé n’était pas un « pelleteux de nuages », mais plutôt un homme ancré dans son temps et son monde. Sa réalité s’entourait de gens qui avaient les mêmes intérêts.
« On commençait à être jaloux de lui vers la fin, il avait beaucoup de pouvoir pour un simple curé. Les conservateurs ne le supportaient plus depuis qu’il s’était tourné vers les libéraux de Mercier. Le curé a reçu des coups pas mal durs, des coups difficiles à se relever. »
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