Société d’histoire et de généalogie des Hautes-Laurentides
Souvenirs d’une institutrice d’école de rang (2/2)
Laura D’Amours
Je prends place à mon pupitre installé sur une tribune. Une masse d’enfants se tassent les uns sur les autres tout autour de moi, je me sens déjà moins loin, je les aime déjà, je suis déjà prête à vivre rien que pour eux autres. Je me demande si certains ne sont pas plus grands que moi, je voudrais savoir les noms de chacun, mais ils sont si heureux, ils parlent tous ensemble, ils sont émerveillés de mon nom, D’Amours, ils me demandent si c’est bien mon nom.
La première journée a été extraordinaire, j’avais déjà 42 amis bien à moi pour dix mois. Tous les jours on se rencontrait avec tous nos attirails de livres, à partir du petit catéchisme jusqu’à la grosse grammaire, en tout une quinzaine de livres.
Il faut choisir des gars pour rentrer le bois chacun leur journée et des filles pour balayer, laver les tableaux, et surtout il faut lancer ici et là de l’eau sur le plancher pour diminuer la poussière, il nous faut une école propre.
Tous excepté les plus proches apportent leur lunch. Les familles sont nombreuses. J’en ai même cinq de la même famille. Le dîner s’apporte dans une chaudière de 15 livres, l’aîné s’en occupe, à onze heures et demie il met sa chaudière sur le poêle après avoir demandé la permission, je la leur donne pour toute l’année, tantôt c’est des beans tantôt du macaroni sans tomates mais c’est quand même bon, ils sont tous en santé et respirent le bonheur, ils mangent avec appétit, le pain de ménage est dans un sac et chacun y pige sa part, les beurrées de graisse sont appréciées et aussi celles de mélasse. C’est toujours avec un gros bonsoir qu’ils repartent, habillés chaudement quand l’hiver arrive. Tout a été fait par maman, pourtant elle a encore à la maison trois ou quatre petits qui attendent leur tour pour aller eux aussi à l’école.
Les seules journées où il n’y a pas de classe, c’est le congé de l’inspecteur. Autrement pas une tempête, pas une pluie, rien ne peut empêcher tout ce monde de se rendre à l’école, ils sont courageux, j’en ai qui parcourent trois à quatre milles chaque matin, toujours à pied, car il n’y a aucun autre moyen de transport. De 6 à 15 ans, ils apprennent tous ensemble, sept divisions à voir et pourtant à la fin de l’année tous savent lire et écrire sans fautes, ils ont fait du catéchisme, de la prière, de l’histoire et de l’arithmétique, de la science, du dessin.
Juin arrive, jamais je ne me suis ennuyée, j’ai vu ma mère à Noël et Pâques seulement, je constate que je suis faite pour rester à Sainte-Anne, malgré un salaire de 30 dollars par mois, sur lequel je donne 10 dollars de pension à Mme Lachapelle. Je suis bien traitée partout où je passe, je n’ai que des amies, les mamans de nombreuses familles paraissent gênées en me voyant mais c’est dans ces familles que je me retrouve chez moi.
Trente-quatre ans de ça, je n’ai jamais quitté Sainte-Anne, je n’y ai que des amies, et quand la mort viendra me chercher, eh bien Sainte-Anne-du-Lac sera mon dernier repos. (Rédigé en 1976).
Version légèrement retouchée d’un témoignage paru dans: Eugène Demers, Histoire de la paroisse de Sainte-Anne-du-Lac 1916-1976, 1982.
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