Cancer du sein
Des cicatrices transformées en œuvre d’art
Sylvie-Anne Pelletier est une survivante et une tatoueuse se spécialisant dans le recouvrement de cicatrices de toutes sortes. Entrevue avec une artiste et une femme d’affaires fonceuse qui a su s’accomplir dans l’adversité.
Sylvie-Anne Pelletier est propriétaire du studio de tatouage Mythique SA à Saint-Sauveur. Avant de se consacrer à sa passion, l’Abitibienne d’origine était aide-optométriste. « J’avais une base en arts, mais je n’avais pas encore assez confiance en moi pour me lancer dans le domaine », explique-t-elle.
C’est il y a 8 ans que tout a changé. « Quand ma sœur a eu son diagnostic de cancer du sein, j’ai remis toute ma vie en question. Après quelques années en optométrie, je me suis demandé si j’étais vraiment heureuse, si c’était vraiment ce que je voulais faire s’il ne me restait moi aussi que 3 ou 4 ans à vivre. La réponse était non. »
Pendant une séance de tatouage dans un studio de Val-d’Or, Sylvie-Anne a décidé de se lancer : « J’ai demandé à la patronne où il serait possible de me former. Finalement, c’est elle qui m’a prise sous son aile. Dès qu’elle m’a prise comme apprentie, j’ai tout lâché. Ça m’a pris une année avant d’être autonome. Depuis, je ne fais que ça. »
Malheureusement, ce qui devait être le début d’une belle histoire d’amour s’est rapidement transformé en une succession d’épreuves, raconte la tatoueuse. « Mon diagnostic est venu tout de suite après. Ma sœur est décédée le 25 août, j’ai commencé à travailler comme apprentie en septembre, et j’ai eu mon propre diagnostic de cancer le 18 décembre. Déjà, le 9 janvier, j’avais perdu un premier sein. »
Après avoir passé une batterie de tests, on lui a annoncé qu’elle était atteinte d’une souche de cancer BRCA1 triple négatif hormonal, une maladie qui se transmet par la génétique. « On me donnait trois ans avant d’avoir un autre cancer. Par prévention, on m’a conseillé d’enlever l’autre sein et les trompes de Fallope. J’ai été opérée en septembre. »
Malgré les traitements et les nombreuses allées et venues dans les hôpitaux, la combattante a poursuivi sa formation de tatouage. « Pendant 8 mois, j’ai été plus au ralenti, mais j’ai tout de même continué. » Tout ça avec une petite fille de 8 ans à la maison.
« Pendant les 8 mois qu’ont duré mes traitements, j’ai eu 6 opérations, 16 traitements de chimiothérapie, 16 prises de sang, plusieurs tests comme des IRM et des scans… J’ai trouvé qu’il fallait être en forme pour être malade.»
Elle poursuit : « En Abitibi, d’où je viens, c’est assez petit donc ce sont les mêmes médecins oncologues qui avaient suivi ma sœur qui sont tombés sur mon dossier. Par son parcours, elle a sauvé le reste de la famille. »
En effet, à peine un an après le diagnostic de Sylvie-Anne et deux ans après le décès de la cadette, l’aînée de la famille a à son tour été la cible du même cancer. L’historique familial lui a heureusement permis d’être suivie de près par une équipe médicale, et la masse était encore de petite taille lorsqu’elle a été détectée au deuxième ou troisième rendez-vous de suivi. « Aujourd’hui, on va très bien toutes les deux. Selon les médecins, je suis maintenant à risque égal ou moindre de développer un cancer par rapport à une femme qui n’en a jamais eu », ajoute-t-elle.
Sept années s’étant écoulées depuis sa rémission, Sylvie-Anne peut enfin officiellement se considérer comme guérie. « Maintenant, ce sont nos enfants qui ont des suivis, puisque la souche du cancer est génétique. Les deux plus vieilles de ma sœur ont des prothèses mammaires parce qu’elles ont déjà répondu positives au gène à 21 et 23 ans. »
«On aime bien se dire que la mission de vie de notre sœur, c’était de toutes nous sauver.»
Se spécialiser dans le département des miracles
Pendant la pandémie, Sylvie-Anne a fait un grand saut afin de réaliser un autre des souhaits chers à son cœur : celui d’emménager dans les Laurentides. « Depuis que je suis toute jeune, c’était un rêve de venir habiter ici! »
En arrivant dans les Laurentides, elle a commencé à se spécialiser dans l’art du camouflage. D’abord sur d’anciens tatouages, puis sur des cicatrices de blessure, de cancer, de brûlure et de maladies comme le vitiligo. « Je fais ça pour aider certaines personnes à retrouver, même temporairement, un peu de confiance. C’est pour leur permettre d’être eux-mêmes, d’avoir moins de regards de pitié sur leurs cicatrices, de se sentir à l’aise à l’idée de se mettre en camisole. » Pour elle, ces tatouages offrent en quelque sorte une deuxième vie à ces zones mal-aimées: « Ça permet de se réapproprier son corps. Moi-même, j’ai mes cicatrices de cancer qui ont été tatouées. Je sais ce que c’est que de réapprendre à aimer ces parties du corps qui ont changé drastiquement. Ce n’est pas pour cacher, c’est pour donner envie de s’aimer et d’être fier, d’en faire quelque chose de beau et d’artistique. »
Rapidement, le camouflage et le recouvrement de cicatrices de toutes sortes sont devenus sa spécialité. Selon la tatoueuse, environ 85% de sa clientèle se tourne vers elle pour ce type de projets spécifique. « C’est vraiment comme ça que j’ai fait mon nom. Chaque tatouage est comme une carte d’affaires, donc c’est un couteau à double tranchant. Il n’y a pas beaucoup de tatoueurs qui osent se lancer là-dedans, pourtant c’est très valorisant », affirme-t-elle. « Beaucoup de mes clients en Abitibi m’ont suivie jusqu’ici. J’ai aussi des clients d’Ottawa, de Québec, de Lavaltrie et d’ailleurs au Canada. Dernièrement, j’ai aussi tatoué des dames des États-Unis! »
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