Entretien avec Alexandre Poulin
En prévision du passage d’Alexandre Poulin à Mont-Laurier le jeudi 15 mars 2018, Le Courant s’est entretenu au téléphone avec l’auteur-compositeur-interprête, originaire de Sherbrooke. Petite incursion dans l’univers et la pensée d’Alexandre Poulin.
Sur ton site web on peut lire qu’«au cœur de l’hiver [2016], au milieu d’une forêt, l’album Les temps sauvages [a vu] le jour». Peux-tu m’expliquer un peu ton processus créatif pour cet album? C’est un processus que je répète depuis deux albums. Pour partir la roue, je m’isole quelque part – des fois dans le bois, des fois ailleurs – je loue quelque chose pendant à peu près une semaine et je ne fais qu’écrire. C’est vraiment un processus qui est accumulatif, parce quand je suis en tournée, je n’écris pas beaucoup, je n’ai pas le temps de qualité pour le faire. En fait, tournée j’écris surtout pour d’autres, ça me permet de garder ma plume vivante, de rester allumé face à l’écriture, mais ce processus-là d’écriture pour mes propres affaires à moi c’est vraiment cyclique. Justement, tes chansons débordent de figures de style phonétiquement riches et colorées. Est-ce qu’elles te viennent à l’esprit à n’importe quel moment du jour ou de l’année, ou seulement lorsque tu es isolé dans ta bulle de création? C’est un peu des deux. Des fois je peux en noter quelques-unes, je pense à quelque chose, je trouve ça cool, je la prends en note, puis plus tard, à travers une chanson, je peux en sortir une et me dire «Ok, elle va vraiment là». Mais plus souvent qu’autrement, elles apparaissent vraiment au même moment où j’écris la chanson. C’est très cliché, mais à partir du moment où le canal s’ouvre, où l’inspiration est là, ça va vite puis tout ça arrive pas mal tout en même temps. Quand tu écris tes chansons, qui cachent toujours une morale, est-ce seulement pour partager une leçon de vie que tu as vécu, ou tu penses aussi à ce que les gens, selon toi, ont besoin d’entendre/comprendre? Non, jamais! C’est bizarre parce que, à la base, je n’en ai même pas tant conscience quand je regarde mes affaires. Je suis très égoïste dans mon procédé. Moi j’écris pour moi avant tout, parce que j’en ai besoin. Je n’ai surtout pas la prétention de penser que je peux apprendre quelque chose aux autres ou que j’ai découvert une vérité que je dois partager. Je me dis tout le temps que le mieux qui peut arriver, c’est qu’une chanson va rappeler à quelqu’un ce qu’il sait déjà, mais qu’il a peut-être juste oublié. Je ne vais jamais plus loin que ça. Je n’ai pas envie de porter ce fardeau d’avoir à apprendre des choses aux gens, surtout je n’ai pas l’impression que j’en sais plus que personne. J’écris parce que j’ai besoin de trouver des réponses, j’écris parce que j’ai besoin de me parler à moi-même. C’est un peu ma façon à moi de comprendre ma vie, de comprendre ma génération. Si après ça ces chansons-là trouvent écho dans l’existence des autres, puis qu’ils y trouvent certaines sortes de réponses, c’est sûr que je vais être bien content, mais à la base, au moment d’écrire, je n’ai aucune notion de ça, puis je n’ai surtout pas la prétention de penser que je peux apprendre quoi que ce soit à quelqu’un. Alors que tu t’attaquais à toutes sortes de thèmes sociaux dans tes premiers albums, ceux de l’amour et de la famille étaient peu présents. Pourtant, ils semblent prendre de plus en plus de place dans ton œuvre. Pourquoi? Le premier album, je suis d’accord avec toi, c’était très éclaté. C’est souvent ça un premier album, c’est les chansons que tu as écrites depuis que tu es né, tu gardes les douze meilleures puis tu pars avec ça. Il y avait un éclatement au niveau des thématiques, puis il y avait très peu de chansons sur l’amour, et le deuxième album n’en avait pas beaucoup non plus. En fait, c’est un thème que j’ai beaucoup boudé parce que j’avais l’impression que tout le monde parlait de ça puis je ne trouvais pas l’angle pour être original. Force est d’admettre qu’au fil du temps, oui ma vie personnelle a changé, je suis devenu papa en cours de route. À partir du moment où tu le vis profondément, tu arrives à puiser quelque chose que tu as l’impression qui peut être transmis en chanson, puis qui mérite d’avoir sa place. J’ai un peu fait la paix avec ça aussi. Je pense qu’en début de carrière tu as toujours la crainte d’être perçu comme un chanteur quétaine. Tu ne veux pas ça dans la vie, tu ne veux pas être étiqueté. En vieillissant, un tu te rends compte que tu seras toujours le quétaine de quelqu’un, faite que fais la paix avec ça, puis deux, il n’y a pas de sujets qui sont tabous si tu arrives à y mettre ta plume à toi. Savais-tu que sur ta page Spotify tes «Artistes similaires» sont Dany Bédar, Marc Dupré, Okoumé et Boom Desjardins? Si tu devais choisir toi-même, lequel ou lesquels serai(en)t-il(s)? Paradoxalement, sur iTunes on est plus proche de Louis-Jean Cormier, de Vincent Vallières et de Fred Pellerin, je pense. Ce qui a marqué mon développement à l’adolescence, j’écoutais énormément de Richard Desjardins puis de Daniel Bélanger, c’était mon volet québécois. Côté américain, je suis un grand fan de Bruce Springsteen, de Bob Dylan et au même moment je découvrais tout ce que l’on a appelé la chanson française avec un grand C, dont Brel, Brassin, Aznavour. J’ai l’impression aujourd’hui que d’avoir consommé ces trois pôles-là à satiété quand j’avais 13, 14 et 15 ans a forgé ce que je suis aujourd’hui. Au niveau de la structure et de la façon dont mes chansons sont écrites, je suis beaucoup plus proche de la chanson française que d’une structure pop américaine, alors qu’au niveau de la facture musicale, c’est vraiment issu de l’Amérique. Puis je chante comme on parle, c’est-à-dire en Québécois, même si, oui, j’ai un background de prof de français, je ne vais pas du tout dans le niveau de langage élevé. Je préfère de loin m’exprimer en langage familier, parce que, un, c’est comme ça que je parle et, deux, j’ai l’impression que tu touches plus les gens quand tu utilises un langage qui leur est propre.Si dans tout ton répertoire tu devais choisir la chanson qui te représente le plus, celle qui décrirait le mieux aux non-initiés «Qui est Alexandre Poulin», laquelle serait-ce? Ce n’est pas évident, c’est comme demander à un parent de choisir un enfant préféré, je les aime toutes. Je vois beaucoup ce que je fais comme un tout, je trouve que chaque album a une identité en soi, a son existence. C’est vraiment difficile, mais je pourrais dire L’écrivain. Au niveau de la thématique il y a vraiment un peu de moi. J’ai un background d’enseignant, ça va faire 12 ans que j’ai pris ma retraite des écoles. Je trouve que la signature est forte au niveau de l’histoire, c’est-à-dire que, moi, ce que j’aime avant tout c’est de raconter des histoires. Puis je ne fais pas quelque chose qui est profondément rock, je fais du folk très doux, c’est la chanson avant tout. Je pense que, même au niveau de l’enrobage, ça donne une bonne idée de ce que je peux faire dans la vie. Parlant de ta pièce L’écrivain, tu y parles du rôle que peut joueur un enseignant sur la confiance en soi d’un enfant. Était-ce un récit personnel, ou est-ce plutôt le modèle que tu tentais de reproduire avec tes élèves?J’avais un élève qui à la fin de l’année a échoué son examen final et dont j’ai modifié la note pour le faire passer, parce que c’était mon meilleur élève toute l’année, il avait une moyenne générale d’à peu près 90%. Je connaissais un peu sa vie personnelle, ses parents étaient en train de se séparer, puis la journée où il devait faire l’examen final, vers la fin mai, ses parents étaient en cour et se chicanaient pour savoir lequel des deux n’aurait pas sa garde. Aucun des deux ne voulait le prendre avec lui, ils avaient des nouveaux conjoints, des petits condos, pas d’espace. C’était une affaire complètement démente. Sur la copie d’examen, je ne reconnaissais même pas sa calligraphie, il n’était juste pas là. Fait que j’ai falsifié sa note de plusieurs, plusieurs points pour le faire passer. Je n’en ai plus jamais entendu parler puis, huit ans plus tard, cet élève-là m’a retrouvé sur Facebook et m’a juste écrit «Salut, je voulais juste te remercier pour ce que tu as fait pour moi – parce qu’évidemment lui était au courant – si j’avais échoué mon français de secondaire 5, c’est sûr que j’aurais lâché l’école». Il venait juste de recevoir sa maîtrise à l’université. C’est à la suite de la lecture de ce courriel-là que je me suis dit «Sérieux, ça n’a pas de sens comment un prof peut avoir une différence marquée dans le cheminement d’un jeune adulte ou d’un ado qui est en pleine formation de ce qu’il va devenir». C’est à la suite de tout ça que j’ai décidé d’écrire L’écrivain. Tu dis que chaque album a une identité en soi. Quelle est celle de ton album Les temps sauvages?C’est vraiment un album de dualités, c’est un album, j’ai presque envie de dire, de combats de vie. J’ai toujours aimé les titres qui étaient un peu vaporeux, qui laissaient place à l’interprétation, puis ce que j’aime tant du titre «Les temps sauvages» c’est cette double perception où les gens peuvent voir les temps sauvages comme les temps fous, des temps complètement déments, où il y a une bombe qui peut exploser à tout moment, où on court comme des malades, mais ça peut aussi être les temps sauvages comme les chevaux sauvages, donc les temps de la liberté ultime où on s’affranchit de tout ce qui nous bouffe le quotidien, de l’omniprésence des réseaux sociaux, de ce couraillage-là à la garderie, de tout. J’aimais bien cette espèce d’opposition là. C’est un album qui parle de la quête du temps, du temps de qualité, de l’envie de ralentir, de focusser sur ce qui compte vraiment, de retourner à l’essentiel. Autant Couleurs primaires que Nos cœurs qui battent parlent de se retrouver en tant que couple, mais aussi en tant qu’humain aussi, puis de faire un pas de recul sur tout ce qui nous bouffe la vie puis qui fait que tu as envie de plus de libertés. C’est vraiment la thématique la plus forte. Ça fait plus de dix ans que tu roules ta bosse, on pourrait dire que tu es un artiste établi et reconnu du public comme du milieu et, pourtant, on te voit plutôt à la télévision ou à la radio. As-tu l’impression que les médias ne t’accordent pas toute la visibilité que tu mérites? Non, je n’ai vraiment pas cette impression-là. Souvent, c’est un choix, parce que ce n’est pas que je n’en ai pas besoin, mais en même temps je ne peux pas faire plus que 150 shows par année! J’ai un immense privilège, je le répète, il n’y a pas un matin où je ne me pince pas. C’est fou d’avoir des shows complets soir après soir dans des salles qui ont des immenses jauges. Rendu là, de passer à la télé, je ne vois pas ce que ça va m’apporter de plus, à part que je vais être reconnu sur la rue. Puis pour moi, le succès ça n’a jamais été d’être reconnu sur la rue ou que les gens sachent combien je gagne par année, ou d’avoir un mégahit. Pour moi, le succès dans ce métier-là, c’est la durée, c’est la pérennité.
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