Société d’histoire et de généalogie des Hautes-Laurentides
À l’hospice (été 1952) (6/8)
Claude Daoust
Juin 1952, j’arrive avec ma valise à l’hospice (aujourd’hui CHSLD Sainte-Anne) en même temps que mes sœurs et Robert. Elles vont y demeurer encore trois ans, tandis que Robert et moi y passerons seulement les vacances d’été. Ni lui, à 3 ans, ni moi, qui dois monter en 8e année, n’étions de fait admissibles dans cette institution des Sœurs Grises, qui hébergeait des vieillards, des vieilles, et des orphelins ou enfants « illégitimes » du primaire.
L’hospice était un bâtiment familier de notre voisinage immédiat, sa cour jouxtait la nôtre rue Frontenac. Qui m’eût dit qu’on m’y enverrait un jour? Je vais découvrir la vie qu’on mène dans ses murs. En dehors des heures de jeux, le silence est de rigueur partout. Certaines routines me paraissent étranges. Ainsi, la façon de faire sa toilette sans se dévêtir exigeait qu’on se passe la main à l’intérieur du pyjama avec force contorsions tout en suivant une chorégraphie bien réglée devant des éviers grands comme des baignoires. Cela s’appelait « suivre les commandements » dictés par la surveillante: trempez votre débarbouilloire, savonnez-la, lavez-vous le front, le nez, ainsi de suite jusqu’aux orteils, en passant par « la partie foncière avant », « la partie foncière arrière » et pas question de s’attarder à cet étage. Une fois par semaine on entrait dans la douche commune six ou sept à la fois, revêtus de chasubles grises en gros coutil. Un peu imperméables au début, elles pesaient une tonne d’eau à la fin. La plupart des religieuses étaient gentilles à une exception près, Mère Jean-de-la-Passion, la responsable des garçons. Une scène que je n’oublierai jamais: après avoir fait mettre au milieu de notre cercle un petit gars de 5-6 ans qui mouillait assez souvent son lit, elle l’a battu pour faire un exemple.
Malgré tout, je n’ai pas trop mal vécu ces vacances, grâce sans doute au phénomène de groupe et aux « privilèges » conférés aux plus vieux. C’était l’année du Congrès eucharistique, j’ai participé à la décoration de l’édifice Sainte-Anne et à différentes petites corvées sur le site du reposoir. Aussi, servir des messes à la cathédrale et au séminaire me permettait de sortir et de gagner quelques sous (remis à ma sœur titulaire).
Casser maison avait bouleversé nos vies. Durant ce séjour à l’hospice, je fus témoin d’une scène douloureuse. Souvent sollicité pour faire des courses à l’interne, un jour, dans un passage, je rencontre une jeune fille qui, tout énervée, m’interpelle en me disant « au parloir il y a un monsieur qui pleure » et comme le parloir est ceinturé de vitres j’y reconnais la directrice avec mon père. C’était la première fois que je voyais mon père pleurer. Discrètement j’ai continué mon chemin mais avec le cœur gros.
Bientôt Robert sera accueilli par deux familles voisines de chez nous qui vont très bien s’occuper de lui: d’abord les Dufour pendant une année, puis les Latreille les quatre années suivantes. Quant à moi, c’est le séminaire qui m’attend.
1 Condensé d’extraits du livre Sara Labelle (1888-1962) et Ambroise Chalifoux (1877-1918): De Brébeuf à Sainte-Anne-du-Lac, Lise Daoust, 2019. Annexe : Souvenirs de Claude.

Auteur : Claude Daoust
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