Chronique de Frédéric Bérard
En avoir son truck
Sur la page Facebook de CFLO FM, un auditeur m’interpelle, en gros, de la manière suivante: Eille Bérard, t’as pas le droit de dire que les camionneurs sont complotistes, pis tu dois savoir que la manif va être familiale et pacifique.
Il ajoute, cette fois dans un échange subséquent: « J’ai été au Rona cette semaine… Si tu oublies ton permis de conduire dans l’auto pour aller acheter un morceau de plomberie… tu rentres pas… Si ta pas un code QR… tu rentres pas?? Non mais c’est quoi ça? Désolé, moi je ne veux pas que mes enfants soient contrôlés comme ça avec de pareilles mesures farfelues. Je te respecte mon ami, j’aime t’écouter mais c’est mon opinion, et il faut faire quelque chose pacifiquement… et maintenant. Peu importe que ça change ou non ».
Le message est sincère et trahit, sans forcer, l’écœurantite totale et complète éprouvée par tous et chacun, en ce moment. Reste que le propos constitue un maelström de frustrations diverses, maintenant instrumentalisées par des leaders pas trop recommandables. James Bauder, le fondateur de Canada Unity et l’architecte du convoi de camionneurs, explique que « Trudeau needs too[sic] be arrested and charged for treason, and for participating in committing crimes against humanity ».
Arrêter le premier ministre, donc, et l’accuser de trahison et crimes contre l’humanité? Juste ça? Non. Y a plus. Une autre organisatrice, Tamara Lich, était à la tête des gilets jaunes albertains lorsque ces derniers sont devenus (tristement) célèbres pour avoir affiché, sur les réseaux sociaux, des menaces de mort envers Trudeau. Maintenant privée des quelques 6-7 millions de dollars par GoFundMe, lequel en était à vérifier la destination des fonds, Lich devait requérir des manifestants qu’ils envoient directement leur fric à son adresse courriel personnelle. Rien de trop louche, j’imagine.
C’est ainsi que, et sans trop de surprises, le cortège de la « liberté » allait nous gratifier de quelques drapeaux nazis et confédérés. L’Holocauste et un passeport vaccinal obligatoire pour s’acheter un 2×4 chez Rona, même combat? L’esclavagisme des Noirs américains et la troisième dose, même histoire? Faudrait revoir votre conception de « liberté » et de « réunion pacifique et familiale », les amis. Parce que des drapeaux et slogans semblables violent, si l’on y pense, les dispositions du Code criminel sur la propagande haineuse.
D’aucuns diront qu’il s’agit ici de bêtise d’une minorité, et ils auront (évidemment) raison. Sauf que perso, me souviens pas d’une manif à laquelle j’ai participé affichant quelconque svastika. Et disons que si tel avait été le cas, j’aurais été bien embêté, pour dire le moindre, d’expliquer ce type de conneries à mes enfants aussi présents.
S’ajoute à ce qui précède la marée de promo-trumpiste, confirmant ici encore l’évidence: le populisme, celui qui défie la science et la raison, fut le premier gagnant de ladite manif. J’exagère? Alors quel lien entre l’abolition du passeport vaccinal, de juridiction provinciale, et… Ottawa? Et sachant que les nouvelles mesures canadiennes aux frontières ont aussi un pendant américain rendant leur levée inutile, quelle pertinence?
On pourrait, enfin, remarquer une dernière fois l’ironie du qualificatif de liberté en se rappelant Sartre: la tienne arrête là où celles des autres commencent. Par exemple, celle des patients en attente d’une chirurgie sans cesse retardée. Ou celle d’un personnel soignant au bord de l’effondrement.
Des évidences difficiles à constater, manifestement, quand la seule libâââârté nous intéressant relève de notre nombril et autres caprices d’enfants gâtés.
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