Chronique de Frédéric Bérard
Catastrophe masquée
C’était au printemps 2020, en plein cœur d’une première vague mortifère. Particulièrement, sinon essentiellement, en ce qui a trait aux CHSLD. Au sommet d’une popularité due à une bonhommie contrastant avec la morosité pandémique, le docteur Arruda enchaînait pourtant, publiquement ou en catimini, les gaffes magistrales. Celles qui, au final, allaient provoquer, indirectement ou non, le décès de quelques milliers d’aînés.
On se souvient, notamment, des promesses non tenues sur le plan du dépistage. L’absence de transparence en matière d’évolution de la courbe. La directive de ne pas porter de masques, cet apparent « faux sentiment de sécurité », au motif supplémentaire d’une prétendue violation des Chartes des droits (NDLR: n’importe quoi). Affirmer l’importance d’atteindre « l’immunité collective » en favorisant le retour à l’école, posture dont la dangerosité a été soulignée, ipso facto, par l’Institut national de la santé publique. La contravention de ses directives avec celles adoptées par la scientifique en chef du Canada, à laquelle il réplique par la bravade suivante: « je n’ai pas de compte à rendre à cette dame ».
Il aurait peut-être dû, à vrai dire. Parce qu’au plus fort de la cata, les morts québécois comptaient pour près du deux tiers de ceux du Canada complet. Il y avait, manifestement, quelque chose de pourri au royaume de la tartelette.
Flairant l’improvisation, sinon l’incompétence masquée à grands coups de relations publiques, plusieurs, dont Bibi, devaient soulever leurs inquiétudes quant à la gestion d’Arruda. Mal nous en pris. Un mouvement informel du nom de « Touche pas à mon Horacio! » rendait ainsi impossible la critique, même constructive, de la néo-icône de la Santé publique. De la pub de bière? Pas de trouble. La tournée des émissions de variétés ou humoristiques, alors que ça crève à grand cri? C’est cool. Même la danse du Pogo du bon docteur, accompagnée de « Legault, suspends tous mes droits, je te donne le go! », réussit à passer la rampe, le staff de Legault devant même répliquer aux critiques par un spectaculaire sophisme: « Les Talibans non plus, n’aiment pas la danse ».
Près de 18 mois plus tard, le dépôt du rapport de la Protectrice du citoyen confirme, tristement, la justesse des craintes manifestée à l’époque. Et même plus.
Concentration des effectifs dans les centres hospitalier, prise à la légère du virus, absence de mesures efficaces et opportunes dans les CHSLD, notamment la séparation névralgique des zones chaudes et froides, pénurie de leadership et communication, tout s’y trouve. Pas étonnant que le premier ait qualifié, avec un dangereux mépris pour les institutions, de « gérante d’estrade », le tout en faisant ombrage à son rapport en planifiant simultanément sa conférence de presse quant à la vaccination des 5-11 ans.
En bref, ce qui aurait suffi à mener au congédiement le plus justifié s’est plutôt, ironiquement, transposé en un renouvellement de mandat pour Arruda. Raisons? Deux, à mon sens.
D’abord, son indéniable popularité de jadis, laquelle assurait au gouvernement Legault la plus grande marge d’erreur possible, toute critique, à charge de redite, étant devenue impossible. Deuxièmement, la docilité manifeste du docteur quant à la prise de décision ministérielle, la science pouvant ainsi être reléguée aisément derrière les impératifs politiques. Pratique, côté apparence de légitimité.
Morale de l’histoire? Que la popularité d’un individu, énorme ou inexistante, se veut probablement la pire des conseillères. Surtout lorsque certains dirigeants, aux scrupules dignes d’un Machiavel, instrumentalisent celle-ci à titre d’écran de fumée, masquant, de facto, la catastrophe ambiante.
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